Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 2.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la recommander. Annette, brûlante d’indignation, fut sur le point de la manifester ; un éclair de colère passa : il s’éteignit ; le dédain l’emporta ; elle fut prise d’une de ces gamineries un peu diaboliques de jadis, un prurit de persifler. Elle dit, en se levant :

— Enfin, pensez à moi, si vous fondez un cours de morale nouvelle !

Mme  Abraham la regarda, interloquée : l’impertinence était visible. Elle répliqua sèchement :

— L’ancienne nous suffit.

— Cela ne ferait pourtant pas de mal, de l’élargir un peu !

— Qu’y feriez-vous entrer ?

— Un rien, dit Annette, tranquillement : la franchise, et l’humanité.

Mme  Abraham, blessée, dit :

— Le droit à l’amour, sans doute ?

— Non, répondit Annette, le droit à l’enfant.

Quand elle fut sortie, elle haussa les épaules, de sa bravade inutile… Stupide !… À quoi bon s’être fait une ennemie ?… Elle rit, tout de même, de l’air vexé de son antagoniste. Une femme ne résiste pas au plaisir de rendre à une autre un affront. Bah ! la femme Abraham ne resterait son ennemie que jusqu’au jour où Annette aurait reconquis son rang. On le reconquerrait ! Annette vit d’autres institutions ; mais les places manquaient. Il n’y en avait pas pour les femmes. Les démocraties latines ne sont faites que pour les hommes ; elles mettent parfois le féminisme sur leurs programmes ; mais elles s’en méfient ; elles n’ont point hâte de fournir des armes à celle qui demeure encore, à l’aurore du xxe siècle, la rivale asservie, mais qui ne le sera plus longtemps, grâce à la ténacité de la femme nordique. Pour qu’elles accueillent, en rechignant, la femme qui travaille et veut exercer ses droits, il faut que fasse pression l’opinion du reste du monde.