Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/109

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— Mon vieux ! mon frère, là-bas, il dit qu’ils en ont jusqu’au bec, dans la merde.

Corveau dit qu’on saigne les Boches avec des couteaux. Il montre comment on fait. Il a vu tuer le cochon.

Ils se racontent, avec des yeux farceurs, les effets des obus. Les clochers, les arbres, les tripes et les têtes, voltigent dans leur pensée, comme des jouets barbares. Ils s’arrêtent au décor. Oui, la chair et le sang, ils l’imaginent, ils y ont même ce plaisir, que trouvent les garçons à patouiller dans la saleté… Mais le cri de l’âme dessous, il n’en est pas question.

Ceux qui reviennent de là-bas ne font rien pour l’éveiller. Le frère aîné de Corveau est en permission. Il conte à ces gamins :

— « J’avais un bon copain qui se faisait des rentes, en vendant les fusées des obus non éclatés. Il était, pour les dévisser, malin de ses dix doigts comme un singe ; il allait les cueillir, à peine refroidis. Je lui disais :

— Méfie-toi !

Il répondait :

— Ça me connaît !

Un jour, je le suivais à vingt pas, en me garant derrière un arbre :

— Laisse ça ! que je lui crie, ça pourrait mal finir…