Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/169

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âme vivante. Mais ce pain quotidien, il faut d’abord le gagner. Travaille ! Sois un homme !… Tu ne voudrais pourtant pas être, des trois Rivière, le seul inutile, le parasite ?… Regarde le bout de mes doigts ! L’aiguille y est marquée. J’ai beau aimer mes mains, et aimer qu’on les aime, je ne les ai pas épargnées. — Je ne suis pas une bégueule. J’ai bien joui de la vie. Mais elle ne m’a pas été donnée. Je l’ai achetée, jour par jour. J’ai rudement travaillé. Fais-en autant !… Et défronce-moi ce museau offensé ! Je te fais un honneur, en te savonnant les oreilles avec mon chant ! Je te traite en égal. Dis merci !… Et rompez ! Chenapan ! …

Marc bouillait et écumait, de s’entendre traiter avec cette désinvolture. Il aurait bien mordu la main qui le secouait insolemment par sa laisse, en le faisant souvenir qu’il était l’obligé de ces deux femmes, qu’il mangeait leur pain, et qu’il n’avait aucun droit de se libérer de cette servitude humiliante, avant qu’il ne le leur eût rendu. Mais le plus enrageant était qu’il avait, lui aussi, le sens de la justice, — ce stupide sentiment, ancré chez les Rivière, — et qu’il se disait que c’était vrai : aux insolences de Sylvie, rien à répliquer ! il avait son honneur d’homme à sauver…

Et puis, une autre raison, qu’il s’avouait moins : — cette main, qu’il eût mordue, ne manquait point