Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/247

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que j’aurais eus pour le jeune Oreste, tombé aux mains des barbares de Tauride. Je voudrais que vous eussiez vu l’illumination qui se fit dans ses yeux, et dès mes premiers mots. Il reconnaissait la langue de la patrie. La patrie qui survit à toutes les Ilions : celle de l’Amitié… Et ce respect, que l’âme de tout humain doit à ses compagnes, mais qu’elle est si parcimonieuse à leur accorder, le toucha jusqu’aux larmes. Je feignis de ne point les voir, et je continuai de parler, afin de lui laisser le temps de dominer son trouble. Il comprit mon intention ; et quand il eut repris sa maîtrise, l’entretien s’engagea, grave et tendre, sous les yeux de Thoas, qui n’y entendait rien. Nous ne nous parlions que de choses indifférentes. Mais la voix était tout. Au regard qui demandait :

— Est-ce toi ?

elle répondait :

— C’est moi, frère.

À peine rentré chez lui, il m’écrivit une lettre exaltée. Je le revis seul, le lendemain… En vérité, je n’avais point mesuré le retentissement qu’aurait dans ce cœur affamé l’élan de sympathie que je lui avais montrée. J’imaginais moins encore la place que le nouveau-venu prendrait dans ma vie. J’avais eu, comme tout le monde, deux ou trois amitiés ; je ne leur avais jamais beaucoup demandé ni donné. On avait plaisir sincèrement à se voir,