Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/27

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Leur union est si forte qu’il ne s’est point marié et ne se mariera point : il n’en sent pas le besoin. Pas d’amis, pas de femmes, presque pas de lectures : il ne s’ennuie jamais. Il a le même journal, que déjà lisait son père. Le journal a changé plusieurs fois d’opinion. Mais lui, n’a pas changé, il est toujours de l’opinion du journal. Peu de curiosité. Une vie automatique ; le meilleur est pour eux leurs entretiens monotones, ou, sans parler, le déroulement prévu des mêmes petits actes quotidiens et des rites. Ils sont sans passion, — hors leur intimité, qui est une chère habitude. Que rien ne la vienne troubler ! Changer le moins possible. Penser le moins possible. Ensemble, rester tranquilles…

Et ce modeste vœu ne leur est pas accordé. La guerre, l’ordre de départ, viennent les séparer. Elle soupire et se hâte de lui préparer ses effets. Ils ne protestent pas. Le plus fort a raison La grande force a parlé.

Les Cailleux sont à l’étage au-dessus d’Annette. À l’étage au-dessous est la famille Bernardin. Père, mère, deux fils, deux filles. Catholiques, royalistes. Du Midi Aquitain.

Le père est magistrat : un petit homme corpulent, tassé, poilu comme un sanglier, la barbe courte et drue qui lui mange le visage ; il est vif