Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/49

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où elle perdait pied, il lui fallait saisir un être, sur qui fixer ses prunelles de myope et son aide passionnée.

Dans le hall de la gare, elle vit, à peine entrée, au creux d’un renfoncement du mur entre deux piliers, — elle choisit (l’instinct choisit) un groupe : deux figures, — un homme étendu, une femme assise à terre, qui lui tenait la tête sur ses genoux. Épuisés, ils s’étaient, aussitôt débarqués, abattus près de l’entrée. La vague des passants buttait contre la femme assise, qui faisait un rempart au gisant. Elle se laissait piétiner. Elle n’avait d’yeux que pour la face aux paupières fermées. Annette s’arrêta et, l’abritant de son corps, se pencha pour la considérer. Elle ne voyait que la nuque, le cou d’un blanc laiteux, robuste, une crinière rousse, épaisse, tachée de crasse, comme de coulées de suie, et les mains qui serraient les joues cireuses de l’homme étendu. Un homme ? Un jeune garçon, de dix-huit à vingt ans, à bout de souffle. Et d’abord, Annette crut qu’il venait d’expirer. Elle entendait la femme, une voix lourde et ardente, qui tumultueusement répétait :

— Ne meurs pas ! Je ne veux pas !…

Et les mains marbrées de boue et de meurtrissures palpaient les yeux, les joues, la bouche du masque immobile. Annette lui prit l’épaule. Elle ne se retourna pas. Annette, agenouillée près