Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/60

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balance l’esprit qui somnole. Le frère et la sœur étaient dévots, à leur façon. Dieu était à eux : ils y campaient, comme chez Annette : c’était aux autres de déloger. Inerte, mais tenace, Alexis s’incrustait. Il laissait le mouvement à Apolline. Cette fille, en qui dormait une brutale énergie, la tenait étouffée, des heures, assise et courbée sur des travaux d’aiguille, où ses doigts impatients couraient avec justesse. Et tout à coup, elle jetait l’ouvrage à la volée, se levait, piétinait ; elle se mettait à marcher, marchait, marchait en rond, dans l’étroit espace entre le lit et la fenêtre ; elle s’arrêtait, pour montrer le poing à un ennemi absent ; elle parlait de lui crever les yeux avec ses ongles ; et elle parlait, parlait, d’une voix qui geignait, grondait, menaçait, rabâchait. À la fin, brusquement, elle se jetait sur le lit de son frère, et elle l’étreignait, avec un torrent de paroles passionnées. Il y mêlait les siennes, dolentes et monotones. Enfin, enfin ! se faisait le silence. La mort semblait dans la chambre…

Un pareil voisinage n’était pas reposant. Mais on n’osait pas trop se plaindre : on les plaignait ; il fallait tâcher d’être patients les uns pour les autres. Chacun souffrait. Ils avaient eu plus que leur part : avant de fuir, ils avaient vu brûler la maison avec la mère infirme, et fusiller le vieux domestique ; on comprenait que leur