Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 3.djvu/92

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En passant à une gare, Annette vit, près de la station, une foule qui se pressait, à grand vacarme, autour de palissades encerclant un chantier. On y avait parqué, pour quelques heures ou quelques jours, comme ua bétail, un troupeau d’Allemands qu’on charriait depuis près d’une semaine, sans trop savoir où et quand on arriverait : car on avait mieux à penser. Toute la population de la petite ville s’était ruée, hommes, femmes, enfants, pour voir les bêtes dans leur cage. On eût dit un cirque de passage. Spectacle gratuit. Les prisonniers, brisés de fatigue, s’étaient affalés sur le gravier ; la plupart, muets, insensibles, promenaient de mornes yeux sur le cercle d’yeux goguenards, qui les épiaient entre les fentes de la clôture ; des gueules joviales leur lançaient des jets de salive. Quelques-uns avaient la fièvre ; ils étaient des chiens battus, honteux, haineux, peureux, qui tremblent. Les nuits de froid et de pluies avaient amené la dyssenterie. Dans un coin de l’enclos, en belle vue, sur un fumier, ils se soulageaient. À chaque fois, l’énorme rire des spectateurs rugissait. On entendait glapir les femmes, et les cris aigus des enfants. Se tapant les cuisses, roulant les hanches, contorsionnés, ils étalaient, béantes, leurs mandibules, dans les transports de leur allégresse. Ce n’était pas méchanceté. Totale absence d’humanité. L’animal s’amusait…