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LES PRÉCURSEURS

êtes des hommes et du Poème contre le grand crime, P.-J. Jouve, dont l’âme pathétique vibre et frémit, comme un arbre, au vent de toutes les douleurs et de toutes les colères humaines ; — à Marcel Martinet, un des plus grands lyriques que la guerre (que l’horreur de la guerre) ait produits, le poète des Temps maudits, qui resteront l’immortel témoignage de la souffrance et de la révolte d’une âme libre ; — au touchant Delemer ; — et à quelques jeunes revues. Après quoi, il déblaie le terrain de ce qu’il appelle « la fausse avant-garde littéraire », et dit durement leur fait aux écrivains chauvins. Ce rude poilu des lettres les charge à coups de boutoir :

« … J’en viens, moi, de cette guerre que vous chantez, vous… Je possède ma citation à l’ordre du jour, ma croix de guerre : je ne la porte jamais. J’ai passé sept mois en captivité, avant d’être rapatrié comme grand blessé. Je pourrais vous inonder de récits guerriers. Je ne veux point le faire. Pourtant, j’écris un livre sur la guerre. Et j’y condense tout ce que mon cœur a ressenti, tout ce qu’un homme a souffert durant ces mois d’indicible horreur, toute la joie aussi qu’il a éprouvée quand il s’est aperçu, à de rares éclaircies lumineuses, que toute humanité n’est pas morte, que la Bonté existe encore, trans et cis-rhénane, mondiale. Vous chantes, M. B. « la guerre par laquelle il est beau et doux de mourir pour la patrie ! » Tous ceux que la mort menaça vous diront que si elle peut être nécessaire, elle ne fut jamais ni belle ni douce. — Vous célébrez « cette loque sublime aux trois couleurs : le bleu, la blouse de nos ouvriers ; le blanc, la cornette de nos admirables religieuses… » Me permettrez-vous de ne point continuer jusqu’au rouge, car je l’évoque bien tout seul : rouge sang de mes blessures coulant et se figeant sur la boue glacée de l’Argonne, en cette horrifique matinée de décembre 1914, boue rouge des charniers pestilentiels ; tempes fracassées des