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LES PRÉCURSEURS

Elles font semblant, pensais-je ; elles se retiennent encore ; mais quand la locomotive sifflera, elles crieront, elles nous arracheront du train, elles nous sauveront. C’était la seule fois qu’elles auraient pu nous protéger… Et elles ont voulu seulement être crânes !… »

Il se rassied, brisé, et se met à pleurer. Un cercle s’est formé autour de lui. Le médecin dit avec bonhomie :

« — Allons dormir, monsieur le lieutenant, les femmes sont ainsi, on ne peut rien y faire ».

Le malade bondit, irrité :

« — Elles sont ainsi ? Elles sont ainsi ? Depuis quand, hé ? N’as-tu jamais entendu parler des suffragettes, qui giflent les ministres, qui mettent le feu aux musées, qui se font ligoter aux poteaux de réverbères, pour le droit de suffrage ? Pour le droit de suffrage, entends-tu ? Et pas pour leurs maris ? »

Il resta un instant, privé de souffle, terrassé par un sauvage désespoir ; puis, il cria, luttant contre les sanglots, comme une bête aux abois :

« — As-tu entendu parler d’une seule qui se soit jetée devant le train pour son mari ? Une seule a-t-elle giflé pour nous des ministres, s’est-elle ligotée aux rails ? On n’a pas eu besoin d’en repousser une seule. Pas une ne s’est émue, dans le monde entier. Elles nous ont chassés dehors. Elles nous ont fermé la bouche. Elles nous ont donné de l’éperon, comme au pauvre Dill. Elles nous ont envoyés tuer, elles nous ont envoyés mourir, pour leur vanité. Ne les défends pas ! Il faut les arracher, comme de la mauvaise herbe, jusqu’à la racine ! À quatre, il faut les arracher, comme pour Dill. À quatre, et alors il faudra qu’elles sortent. Tu es le docteur ? Là ! Prends ma tête ! Je ne veux pas de femme. Arrache ! Arrache !… »

Il se frappe le crâne à coups de poing. On l’emporte,