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LES PRÉCURSEURS

hurlant. Le jardin se vide. Tout s’éteint peu à peu, lumières et bruits, sauf la toux des canons lointains. La patrouille qui a aidé à rentrer le fou à l’hôpital repasse, avec un vieux caporal, tête baissée. Au loin, l’éclair d’une explosion et un long roulement. Le vieux s’arrête, écoute, montre le poing, crache de dégoût et gronde : « Pfui Teufel ! »

J’ai cru bon de traduire de larges extraits de cette nouvelle, pour donner une idée du style saccadé, frémissant, frénétique, qui tient du drame plus que du roman, et où passe une sauvagerie de passion shakespearienne, Je crois utile que cette page amère, injuste — et si profonde ! — soit largement répandue, afin que ces pauvres femmes qui se guindent, par amour bien souvent, aux sentiments surhumains, puissent entendre, à travers la confession d’un fou, les secrètes pensées qu’aucun homme n’ose leur livrer, l’appel muet, presque honteux, à leur toute faible, toute simple et maternelle humanité.

Je passerai plus rapidement sur les autres nouvelles.

La seconde, Feuertaufe (Baptême du Feu), — très longue, un peu trop peut-être, mais riche de douleur et de pitié, — se passe presque tout entière dans l’âme d’un capitaine quadragénaire, Marschner, qui conduit sa compagnie sous le feu de l’ennemi, à la tranchée la plus exposée. Il n’est pas un officier de métier. Il est ingénieur civil, après avoir été officier et s’être mis, à trente ans, sur les bancs de l’école, pour sortir du métier militaire : c’est la guerre qui l’y a réintégré. Avant-hier encore, il était à Vienne. Ses hommes sont des pères de famille, maçons, paysans, ouvriers, sans le moindre enthousiasme patriotique. Il lit en eux et il a honte de mener à une mort certaine ces pauvres gens