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LES PRÉCURSEURS

— « Ne mêle pas le nom de Dieu à la guerre, dit Jérémie. Ce n’est pas Dieu qui conduit la guerre, ce sont les hommes. Sainte n’est aucune guerre, sainte n’est aucune mort, sainte est seulement la vie ».

— « Tu mens, tu mens ! crie le jeune Baruch, la vie nous est donnée uniquement pour nous sacrifier à Dieu… ».

Le peuple est exalté par l’espoir de la victoire facile. Une femme crache sur le pacifiste Jérémie. Jérémie la maudit :

— « Malédiction sur l’homme qui court après le sang ! Mais sept fois malédiction sur les femmes avides de la guerre, elle mangera le fruit de leur corps… »

Sa violence effraie. On le somme de se taire. Il refuse : car Jérusalem est en lui. Et Jérusalem ne veut pas mourir. « Les murailles de Jérusalem se dressent en mon cœur, et elles ne veulent pas tomber… Sauvez la paix ! ».

La foule incertaine subit malgré elle le frisson de ses paroles, quand reparaît, brûlant de colère, le général Abimélek. Il sort du Conseil du Roi, qui s’est prononcé à la majorité contre l’alliance avec l’Égypte. Dans son indignation, il jette son épée. La jeunesse d’Israël, par la voix de Baruch, le salue comme un héros national. Le grand prêtre le bénit. Le prophète démagogue Hananja soulève le peuple et le lance contre le palais, afin d’arracher au roi la déclaration de guerre. Jérémie barre le passage à la foule hurlante. Il est renversé. Le jeune Baruch le frappe de son épée. La foule passe.

Mais Baruch atterré reste devant sa victime. Il essuie le sang qui coule de la blessure, il demande pardon. Jérémie, relevé par lui, ne songe qu’à rejoindre le peuple déchaîné, pour lui crier la parole de paix. Cette force inébranlable stupéfie Baruch ; il prenait pour un lâche celui qui méprise l’action et qui prêche la paix.

— « Penses-tu, dit Jérémie, que la paix ne soit pas