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LES PRÉCURSEURS

chariots, des mulets, des groupes prêts à partir. Des voix s’appellent et se comptent. Le peuple est confus et sans guide. Le malheureux Zedekia, aveugle, maudit de tous, est laissé à l’écart. On entend venir des chants. C’est le cortège de Jérémie. Le prophète parle au peuple incrédule et hostile ; il le console, il lui révèle sa mission divine : son héritage est la douleur ; il est le peuple de souffrance (Leidensvolk), mais le peuple de Dieu (Gottesvolk). Heureux les vaincus, heureux ceux qui ont tout perdu, pour trouver Dieu ! Gloire à l’épreuve ! — Du sein du peuple exalté, s’élèvent des chœurs, célébrant les épreuves anciennes : Mizraïm, Moïse… Ils se divisent en des groupes de voix : graves, claires, jubilantes. Toute l’épopée d’Israël défile dans ces chants, que Jérémie dirige comme un attelage. Le peuple, peu à peu enivré, veut souffrir, partir pour l’exil, et demande à Jérémie de le conduire. Jérémie se prosterne devant le misérable Zedekia, repoussé par la foule. Zedekia croit qu’il le tourne en dérision.

— « Tu es devenu le roi de la souffrance, et jamais tu n’as été plus royal, dit Jérémie… Oint de l’épreuve, conduis-nous ! Toi qui ne vois plus que Dieu, toi qui ne vois plus la terre, guide ton peuple ! »

Et s’adressant au peuple, il lui montre le guide envoyé par Dieu, le « couronné de douleur » (Schmerzengekrönte). Le peuple s’incline devant le roi abattu.

Le jour paraît. La trompette sonne. Jérémie, du haut des marches du Temple, appelle Israël au départ… Qu’ils remplissent leurs yeux de la patrie, pour la dernière fois ! « Buvez les murs, buvez les tours, buvez Jérusalem ! » — Ils se prosternent et baisent la terre, dont ils prennent une poignée. Puis, s’adressant au « peuple errant » (Wandervolk), Jérémie lui dit de se relever, de laisser les morts qui ont la paix, et de ne plus regarder derrière lui, mais devant, au loin, les chemins du monde. Ils sont à lui. Un dialogue passionné