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LES PRÉCURSEURS

rait fort allégé. Mais un sophisme de l’économie politique prétend que le bien-être national s’accroît avec la force de consommation. Le principe est faux ; il conduit à inoculer aux peuples des besoins factices ; mais il permet aux classes intéressées de maintenir l’esclavage, sous la forme de rapine et de guerre. La propriété a créé la guerre, et elle la maintient ; elle n’est une source de vertus que pour les faibles, qui ont besoin de ce stimulant pour les exciter à l’effort. Dans tous les temps, le combat a eu pour objet la possession. Nicolaï ne croit pas qu’on se soit jamais battu matériellement pour une idée pure, dégagée de toute pensée de domination matérielle. On peut bien lutter pour l’idée pure de patrie, quand on cherche à exprimer le mieux possible le génie de son peuple ; mais on ne peut rendre aucun service à cette idée, avec les canons : de tels arguments matériels n’ont de raison d’être que si l’idée pure s’apparente avec des convoitises impures de puissance et de possession. Ainsi, combat, propriété et esclavage sont intimement associés. Gœthe l’a dit :


Krieg, Handel und Piraterie
Dreieinig sind sie, nicht su trennen.

(Second Faust, V).

(Guerre, trafic et piraterie sont trois en un, et on ne peut les séparer).

Nicolaï soumet ensuite à la critique les notions pseudo-scientifiques, d’où les intellectuels modernes prétendent tirer les titres de légitimité de la guerre. Il fait surtout justice du faux darwinisme et du mésusage de l’idée de la Lutte pour la vie, qui, mal comprise et spécieusement interprétée, paraît sanctionner la guerre comme une sélection et, par suite, comme un droit naturel. Il y oppose la science vraie, la loi fondamentale de la crois-