Page:Rolland - Les Précurseurs.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
LES PRÉCURSEURS

un impératif supérieur, et valable pour tous les hommes ?

Oui, répond Nicolaï : c’est la loi même de vie qui régit l’organisme total de l’humanité. En fait, le droit naturel a deux seuls fondements, qui seuls restent inébranlables : l’individu, pris à part, et l’universalité humaine. Tous les intermédiaires, comme la famille et l’État, sont des groupements organisés[1], qui peuvent changer — qui changent — suivant les mœurs : ils ne sont pas des organismes naturels. Les deux sentiments puissants, qui vivifient notre monde moral, comme une double électricité, positive et négative — l’égoïsme et l’altruisme — sont la voix de ces deux forces essentielles. L’égoïsme a sa source naturelle dans notre personnalité, qui est l’expression d’un organisme individuel. L’altruisme doit son existence à l’obscure conscience que nous avons de faire partie d’un organisme total : l’Humanité.

Cette conscience obscure, Nicolaï entreprend (dans la seconde partie de son livre) de l’éclairer et de la fonder sur une base scientifique. Il entend prouver que l’Humanité n’est pas seulement un concept de la raison : elle est une réalité vivante, un organisme scientifiquement observable.

Ici, l’esprit d’intuition poétique des philosophes antiques s’unit curieusement a l’esprit d’expérimentation et d’exacte analyse de la science moderne. Les plus récentes théories de l’histoire naturelle et de l’embryologie viennent commenter l’Hylozoïsme des Sept Sages et la mystique des premiers chrétiens. Janicki et H. de Vries donnent la main à Héraclite et à saint Paul. Il en résulte une étrange vision de panthéisme matérialiste et dynamiste : l’Humanité, considérée

  1. Nicolaï dit même : « des produits de hasard » (sind nur zufällige Produkte).