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LES PRÉCURSEURS

rapidité des communications. Or, un voyageur, aux temps préhistoriques, ne pouvait franchir que 20 kilomètres par jour ; les voitures de poste en parcouraient 100 ; l’extra-poste, 200 ; le chemin de fer, vers 1850, 600 ; un train moderne, 2.000 ; et un rapide pourrait (techniquement) dévorer quatre ou cinq fois plus d’espace. Pour des barbares, la patrie était contenue dans une vallée de montagnes. Aux temps des voitures de poste convenaient les États de la fin du Moyen-Âge, qui n’ont pas sensiblement varié jusqu’à nos jours. Mais, de nos jours, ces États miniatures sont beaucoup trop petits ; l’homme moderne n’y tient plus enfermé ; à tout instant, il en franchit les limites ; il faudrait, à la mesure de sa taille, des États aussi vastes que ceux d’Amérique, d’Australie, de Russie ou d’Afrique du Sud. Et l’on voit venir le temps où ces seules raisons matérielles feront du monde entier un seul État. Rien à faire contre une telle évolution ; qu’on l’aime, ou qu’on ne l’aime pas, elle s’accomplira. On comprend maintenant que tous les essais tentés depuis le Moyen-Âge jusqu’au xixe siècle, pour unir les nations d’Europe, se soient heurtés à une impossibilité de fait : car, quelles que fussent les bonnes volontés, les conditions d’une telle réalisation n’étaient pas encore données. Ces conditions existent aujourd’hui, et l’on peut dire que l’organisation de l’Europe actuelle ne correspond plus à son développement biologique. Bon gré, mal gré, il faudra donc qu’elle s’y adapte. Les temps de l’unité européenne sont venus. Et ceux de l’unité mondiale sont proches[1].

À ce corps nouveau de l’humanité, — le corpus magnum, dont parle Sénèque, — il faut une âme, une foi nouvelle. Une foi qui, tout en gardant le caractère absolu des anciennes religions, soit plus large et plus

  1. Fin du chapitre XIII.