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LES PRÉCURSEURS

loin au fond de la nature et soulève par moments un pan du voile de mystère qui couvre nos propres instincts.

Chose curieuse : J.-H. Fabre croyait à la Providence et au bon Dieu ; le Dr  A. Forel est moniste psychophysiologiste. Or, des observations de Forel se dégage une impression de la nature beaucoup moins écrasante que de celles de Fabre. Celui-ci, la conscience en repos pour l’âme humaine, ne voyait en ses bestioles que de miraculeuses machines. Forel y aperçoit, çà et là, l’étincelle de la conscience réfléchie, de la volonté individuelle. Ce ne sont que des points lumineux, qui trouent, de loin en loin, les ténèbres. Mais cette apparition n’en est que plus pathétique. Je me suis plu à grouper, dans la masse de ces observations, un ensemble de faits où l’on voit l’instinct millénaire, l’Anagkê de l’espèce, combattu, ébranlé, abattu. Et pourquoi un tel conflit serait-il moins dramatique chez ces pauvres fourmis que chez les Atrides de l’Orestie ? Ce sont partout les mêmes ondes de forces aveugles ou conscientes, le même entrechoquement d’ombres et de lumières. Et l’analogie de certains phénomènes sociaux qu’on observe chez ces myriades de petits êtres, avec ce qui se passe chez nous, peut nous aider à nous comprendre et — peut-être — à nous dominer.

Je me contenterai de relever, à titre de simple exemple, dans le vaste répertoire d’expériences de A. Forel, celles qui concernent quelques états collectifs, psycho-pathologiques, et le problème redoutable qui nous étreint aujourd’hui : la guerre.

Les fourmis, dit A. Forel, sont aux autres insectes ce que l’homme est aux autres mammifères. Leur cerveau surpasse celui de tous les insectes par son volume