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LES PRÉCURSEURS

que balaye la panique. Au reste, en bons soldats, elles ne cherchent pas à tuer, mais à vaincre et à récolter les fruits de la victoire. Quand le combat est gagné, elles installent à chaque porte de la fourmilière vaincue une douane, qui laisse fuir les ennemies, mais à condition que celles-ci n’emportent rien ; elles pillent le plus possible, et tuent le moins possible.

Entre espèces d’égale force, qui luttent pour leurs frontières, la guerre ne dure pas toujours. Après des jours de batailles et de glorieuses hécatombes, il semble que les deux États reconnaissent l’impossibilité d’atteindre au but de leurs ambitions. Les armées se replient alors, d’un commun accord, des deux côtés d’une limite-frontière, acceptée des deux camps, avec ou sans traité, en tous cas observée avec plus de rigueur que, chez nous, lorsqu’il s’agit de simples « chiffons de papier ». Car les fourmis des deux États s’y arrêtent strictement et ne la dépassent point.

Mais ce qui peut nous intéresser davantage, c’est de voir comment chez nos frères, les insectes, apparaît l’instinct de la guerre, comment il se développe, et s’il est ou non irrévocable ou susceptible de changer. Ici, les expériences de Forel conduisent à des observations tout à fait remarquables.

J.-H. Fabre, dans un passage célèbre de sa Vie des insectes, écrit que « le brigandage fait loi dans la mêlée des vivants… Dans la nature, le meurtre est partout, tout rencontre un crochet, un poignard, un dard, une dent, des pinces, des tenailles, une scie, atroces machines qui happent… etc. » Mais il exagère. Il voit merveilleusement les faits d’entre-tuerie et d’entre-mangerie ; il ne voit pas ceux d’entr’aide et d’associa-