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LES PRÉCURSEURS

nations ennemies. Je connais, dans les deux camps, nombre d’esprits indépendants, qui veulent réaliser, après la paix conclue, cette communion intellectuelle. Ils n’en exceptent d’avance que ceux qui, soit de leur camp, soit du camp ennemi, ont prostitué la pensée à des œuvres de haine. Quand je songe à ces jeunes hommes, j’ai la ferme conviction (et en ceci je diffère de M. Gerhard Gran) que les esprits de tous les pays se pénétreront mutuellement après la guerre, bien plus qu’auparavant. Les peuples qui s’ignoraient, ou qui ne se voyaient qu’au travers de caricatures méprisantes, ont appris depuis quatre ans, dans la boue des tranchées, sous la griffe de la mort, qu’ils ont la même chair qui souffre. L’épreuve est égale pour tous ; ils fraternisent en elle. Et ce sentiment n’a pas fini d’évoluer. Car lorsqu’on cherche à prévoir maintenant quels seront, après la guerre, les changements dans les rapports entre nations, on ne pense pas assez qu’après la guerre viendront d’autres bouleversements, qui pourraient bien modifier l’essence même des nations. L’exemple de la Russie nouvelle, quel qu’en soit le résultat immédiat, ne sera pas perdu pour les autres peuples. Une unité profonde se crée dans l’âme des peuples : ce sont comme des racines gigantesques qui s’étendent sous terre, sans souci des frontières. — Quant aux intellectuels, qui, séparés du peuple, ne sont pas directement touchés par ce courant social, ils le subissent pourtant, par intuition d’intelligence et de sympathie. Malgré les efforts qui ont été faits, depuis quatre ans, pour briser tout contact entre les écrivains des deux camps, je sais que, dans les deux camps, dès le lendemain de la paix, se fonderont des revues et des publications internationales. J’ai eu connaissance de tels de ces projets, dont les initiateurs (et les plus pénétrés de l’esprit européen), sont de jeunes écrivains, soldats du front. De ma génération, nous