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LES PRÉCURSEURS

s’indigne : « Nous gagnons péniblement notre argent dans la guerre, dit-il, et cet homme écrit pour la paix ! » Nicolaï est arrêté, et son manuscrit confisqué. Après un long procès, il est condamné à cinq mois de prison. Défense aux journaux de publier son nom. La Danziger Zeitung est suspendue, pour avoir relaté sa condamnation. Au sortir de la prison, les vexations reprennent. Le commandant de place d’Eilenburg veut astreindre Nicolaï au service armé. Nicolaï déclare qu’il ne se soumettra pas. L’ordre est pour le lendemain. Nicolaï délibère. Il pense à Socrate et à sa soumission aux lois, même mauvaises, de sa patrie. Mais il pense aussi à Luther, qui s’est enfui à la Wartburg, pour achever son œuvre. Et il part, dans la nuit. Il ne quitte pourtant pas encore l’Allemagne. Il veut tenter, avant, un dernier appel à la justice de son pays. Il écrit au ministre, pour lui exposer les violations du droit, et demande sa protection contre l’arbitraire de la soldatesque. En attendant la réponse, il a trouvé un refuge chez des amis à Munich, puis à Grünewald, près Berlin. Aucune réponse ne vient. Il faut donc s’expatrier. On sait comment il réussit à passer la frontière :[1] en aéroplane, « à trois mille mètres au-dessus de la terre, parmi quelques nuages blancs de schrapnels ». À l’aube de la nuit de la St-Jean, il voyait luire au loin la mer libératrice. Il arriva à Copenhague. Pour la dernière fois, il s’adressa au gouvernement allemand : il offrit de revenir, si on lui garantissait le respect de ses droits et si on le réhabilitait. Après huit se-

  1. Nicolaï évité, dans ce récit, de donner des détails sur sa fuite. Trop de personnes y ont été mêlées, qui auraient à souffrir ; déjà, dit-il, on a mis en prison une des plus innocentes, la fiancée d’un de ses compagnons. — Il nous promet pour plus tard des Mémoires de sa vie de soldat.