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LES PRÉCURSEURS

maines d’attente, Nicolaï se vit désigné comme déserteur ; on perquisitionna dans sa maison de Berlin et dans celles de ses amis ; on mit ses biens sous séquestre ; enfin, on essaya d’obtenir son extradition, sous l’inculpation de vol d’aéroplane. — C’est alors que, reprenant sa liberté de parole, Nicolaï écrit sa « Lettre ouverte » au despote « inconnu ».

Ce qui me frappe dans ce récit, c’est d’abord l’invincible ténacité de cet homme, appuyé sur son droit, comme sur une forteresse… « Ein feste Burg »… Mais c’est aussi l’aide secrète qu’il a trouvée chez un très grand nombre de ses compatriotes.

On s’étonne à présent de l’écroulement subit du colosse germanique. On en cherche cent raisons diverses : l’armée décimée par les épidémies, le peuple travaillé par le bolchevisme…, etc. Elles ont leur part. Mais on oublie une autre cause : c’est que l’édifice entier, si imposant qu’il fût, était miné. Derrière sa façade d’obéissance passive se cachait un immense désenchantement. Rien de plus étonnant dans le récit de Nicolaï, (malgré toutes les précautions qu’il prend pour ne livrer aucun nom aux vengeances du pouvoir) que la quantité de dévouements ou de complicités tacites qui le soutiennent et l’encouragent. « Savants, travailleurs, soldats, officiers, écrit-il, me priaient de dire ce qu’ils n’osaient pas dire. » Alors qu’on l’arrête et qu’on saisit son livre, le manuscrit est sauvé et emporté en Suisse, par qui ? Par un courrier officiel allemand ! — Quand, ayant fui son poste, il veut sortir d’Allemagne et qu’il pense d’abord le faire, tout simplement, à pied, il est arrêté, à cent pas de la frontière, et conduit devant un bon vieux capitaine, qui, en entendant