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LES PRÉCURSEURS

Bien plus, le chaos gigantesque où, comme au temps des convulsions du globe en fusion, s’entre-choquent aujourd’hui tous les éléments humains des trois vieux continents, est une chimie de races où s’élabore, par la force et l’esprit, par la guerre et la paix, la fusion future des deux moitiés du monde, des deux hémisphères de la pensée : l’Europe et l’Asie. Ce n’est pas une utopie : depuis bien des années, ce rapprochement s’annonce par mille symptômes divers : attraction des pensées et des arts, politique, intérêts. Et la guerre n’a fait qu’accélérer le mouvement. En plein combat, on y travaille. Dans tel État belligérant, depuis deux ans, se sont fondés de vastes Instituts pour l’étude des civilisations comparées de l’Europe et de l’Asie et pour leur pénétration mutuelle.

Le phénomène capital d’aujourd’hui, dit le programme de l’un d’entre eux[1], est la formation d’une culture universelle, sortie des nombreuses cultures particulières du passé… Nulle époque passée n’a vu un plus puissant élan du genre humain que les derniers siècles et le présent. Rien de comparable à cet ensemble torrentueux de toutes les forces réunies en une seule énergie commune, qui se réalise au xixe et au xxe siècles… Partout s’élabore dans l’État, la science et l’art, la grande individualité de l’humanité universelle, et la nouvelle vie de l’esprit humain universel… Les trois mondes de l’âme et de la société, les trois humanités (Européo-Orientaux, Hindous, Extrême-Orient) commencent à se rassembler en une humanité unique… Jusqu’à ces deux der-

  1. Institut für Kulturforschung, fondé en février 1915, à Vienne, par le Dr  Erwin Hanslick. Son succès fut si rapide qu’en février 1916, il fut dédoublé et donna naissance à un nouvel « Institut de recherches pour l’Est et pour l’Orient ».