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LES PRÉCURSEURS

Songez-y : l’Europe menace de retomber dans les cercles de l’Enfer, qu’elle gravit depuis cinq années, en semant le chemin de son sang. Les peuples, en tous pays, manquent de confiance dans les classes gouvernantes. Vous êtes encore, à cette heure, le seul qui puisse parler aux unes comme aux autres — aux peuples, aux bourgeoisies, de toutes les nations — et être écouté d’elles, le seul qui puisse aujourd’hui (le pourrez-vous encore demain ?) être leur intermédiaire. Que cet intermédiaire vienne à manquer, et les masses humaines, disjointes, sans contrepoids, sont presque fatalement entraînées aux excès : les peuples à l’anarchie sanglante, et les partis de l’ordre ancien à la sanglante réaction. Guerres de classes, guerres de races, guerre entre les nations d’hier, guerre entre les nations qui viennent de se former aujourd’hui, convulsions sociales, aveugles, ne cherchant plus qu’à assouvir les haines, les convoitises, les rêves forcenés d’une heure de vie sans lendemain…

Héritier de Washington et d’Abraham Lincoln, prenez en main la cause, non d’un parti, d’un peuple, mais de tous ! Convoquez au Congrès de l’Humanité les représentants des peuples ! Présidez-le de toute l’autorité que vous assurent votre haute conscience morale et l’avenir puissant de l’immense Amérique ! Parlez, parlez à tous ! Le monde a faim d’une voix qui franchisse les frontières des nations et des classes. Soyez l’arbitre des peuples libres ! Et que l’avenir puisse vous saluer du nom de Réconciliateur !

Romain Rolland.


Villeneuve, 9 novembre 1918.

Le Populaire, Paris, 18 novembre 1918