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LES PRÉCURSEURS

sés le port lointain où ils mouilleront, côte à côte. L’esprit humain est à l’entrée d’une route. L’entrée est trop étroite, on s’écrase pour passer. Mais je vois s’élargir ensuite la grande route des peuples, et il y a place pour tous. Spectacle consolant, dans l’horreur du présent ! Le cœur souffre, mais l’esprit a la lumière.

Courage, frères du monde ! Il y a des raisons d’espérer, malgré tout. Les hommes, qu’ils le veuillent ou non, marchent vers notre but, — même ceux qui s’imaginent qu’ils lui tournent le dos. En 1887, en un temps où semblaient triompher les idées de démocratie et de paix internationales, causant avec Renan, j’entendais prédire à ce sage : Vous verrez venir encore une grande réaction. Tout paraîtra détruit de ce que nous défendons. Mais il ne faut pas s’inquiéter. Le chemin de l’humanité est une route de montagne : elle monte en lacets, et il semble par moments qu’on revienne en arrière. Mais on monte toujours.

Tout travaille à notre idéal, même ceux dont les coups s’efforcent à le ruiner. Tout va vers l’unité, — le pire et le meilleur. Mais ne me faites pas dire que le pire vaut le meilleur ! Entre les malheureux qui prônent (pauvres naïfs !) la guerre pour la paix (nommons-les bellipacistes) et les pacifiques tout court, ceux de l’Évangile, il y a la même différence qu’entre des affolés qui, pour descendre plus vite du grenier à la rue, jetteraient par la fenêtre leurs meubles et leurs enfants, — et ceux qui passent par l’escalier. Le progrès s’accomplit ; mais la nature n’est pas pressée, et elle manque d’économie : la moindre petite avance s’achète par un gaspillage affreux de richesses et de