Page:Rolland - Les Précurseurs.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
LES PRÉCURSEURS

tout honneur ! Dans le ragoût innommable que forme aujourd’hui la politique européenne, le gros morceau, c’est l’Argent. Le poing qui tient la chaîne qui lie le corps social est celui de Plutus. Plutus et sa bande. C’est lui qui est le vrai maître, le vrai chef des États. C’est lui qui en fait de louches maisons de commerce, des entreprises véreuses[1]. Non pas que nous rendions seuls responsables des maux dont nous souffrons tel ou tel groupe social, ou tel individu. Nous ne sommes pas si simpliste. Point de boucs émissaires ! Cela est trop commode ! Nous ne dirons même pas — Is fecit cui prodest — que ceux qu’on voit aujourd’hui sans pudeur profiter de la guerre l’ont voulue. Ils ne veulent rien que gagner ; ici ou là, que leur importe ! Ils s’accommodent aussi bien de la guerre que de la paix, et de la paix que de la guerre : tout leur est bon. Quand on lit (simple exemple entre mille) l’histoire récemment contée de ces grands capitalistes allemands, acquéreurs des mines normandes, rendus maîtres de la cinquième partie du sous-sol minier français, et développant en France, de 1908 à 1913, pour leurs gros intérêts, l’industrie métallurgique et la production du fer, d’où sont sortis les canons qui balayent actuellement les armées allemandes, on se rend compte à

  1. Lire la série d’articles pénétrants publiés par Francis Delaisi dans ces dix dernières années, et, à titre d’exemple, celui du 1er  janvier 1907 dans Pages libres sur les affaires extérieures en 1906 (l’année d’Algésiras). On y verra de beaux exemples, comme il dit, de « diplomatie industrialisée ». Comme complément à cette lecture, les articles financiers de la Revue (nov.–déc. 1906) signés Lysis, et le commentaire qu’en fait P.-G. La Chesnais, dans Pages libres (19 janvier 1907). Le pouvoir des oligarchies financières, « collectif, mystérieux, indépendant de tout contrôle », y apparaît nettement dans le gouvernement des États d’Europe — républiques et monarchies.