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VI

Liberté !

Cette guerre nous a fait voir combien fragiles sont les trésors de notre civilisation. De tous nos biens, celui dont nous étions le plus orgueilleux s’est montré le moins résistant : la Liberté. Des siècles de sacrifices, de patients efforts, de souffrance, d’héroïsme et de foi obstinée, l’avaient peu à peu conquis ; nous respirions son souffle d’or ; il nous semblait aussi naturel d’en jouir que du grand flot de l’air qui passe sur la terre et baigne toutes les poitrines… Il a suffi de quelques jours pour nous retirer ce joyau de la vie ; il a suffi de quelques heures pour que par toute la terre un filet étouffant s’étendît sur le frémissement des ailes de la Liberté. Les peuples l’ont livrée. Bien plus, ils ont applaudi à leur asservissement. Et nous avons rappris l’antique vérité : « Rien n’est jamais conquis. Tout se conquiert, chaque jour, à nouveau, ou se perd » …

Ô Liberté trahie, replie dans nos cœurs fidèles, replie tes ailes blessées ! Un jour, elles reprendront leur éclatant essor. Alors, tu seras de nouveau l’idole de la multitude. Alors, ceux qui t’oppriment se glorifieront de toi. Mais jamais, à mes yeux, tu n’as été plus belle qu’en ces jours de misère où je te vois pauvre, nue et meurtrie. Tes mains sont vides ; tu n’as plus à offrir à ceux qui t’aiment que le danger, et le sourire de tes yeux fiers. Mais tous les biens du monde ne valent pas ce don.