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LES PRÉCURSEURS

toutes les résistances ; il a fait autour de lui le vide, l’abîme où il s’écroulera. Son instrument d’oppression est le militarisme, comme celui de l’Église était le dogme. — Et qu’est-ce donc que cet État, devant lequel chacun s’incline ? Quelle absurdité d’en parler comme d’une autorité impersonnelle, quasi-sacrée ! L’État, ce sont quelques vieux messieurs, généralement inférieurs à la moyenne de la communauté, car ils se sont retranchés de la vie nouvelle des peuples. L’Amérique est restée jusqu’ici la plus libre des nations ; elle est à une heure critique, non seulement pour elle-même, mais pour le reste du monde. Le monde entier l’observe avec anxiété. Qu’elle prenne garde ! Une guerre même juste peut être la source de toutes les iniquités. Il y a dans notre nature un vieux relent de férocité : la bête humaine se lèche les babines, aux combats des gladiateurs. On déguise ce goût cannibale sous de grands mots de Droit et de Liberté. Le dernier espoir d’aujourd’hui est dans la jeunesse. Qu’elle revendique pour l’avenir le droit de l’individu à juger par lui-même le bien et le mal, et à être l’arbitre de sa conduite !

Auprès de ces graves paroles, une large place est faite, dans le combat de la pensée, à l’humour, cette belle arme claire. Charles Scott Wood écrit d’amusants dialogues voltairiens : — on y voit Billy Sunday au ciel, qu’il remplit de son vacarme ; il fait un sermon poissard au bon Dieu, vieux gentleman aux manières douces, distinguées, un peu lasses, parlant bas ; — ailleurs, saint Pierre est chargé d’appliquer une nouvelle ordonnance de Dieu, qui, fatigué de l’insipide compagnie des simples d’esprit, n’admet plus au paradis que les hommes intelligents. En raison de quoi, aucun mort de la guerre n’est admis — à l’exception des Polonais qui, eux du moins, ne se vantent pas de s’être sacrifiés, mais qu’on a sacrifiés malgré eux.

Louis Untermeyer publie des poèmes. Une bonne