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Page:Rolland - Musiciens d’aujourd’hui.djvu/201

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MUSIQUE FRANÇAISE ET MUSIQUE ALLEMANDE.

réussit, on se trouve en présence d’une symphonie régulière en quatre parties, — Allegro, Scherzo, Adagio et Finale fugué, — qui est une des plus belles œuvres de la musique contemporaine. Elle a la fougueuse exubérance de la symphonie précédente de Strauss, Heldenleben (Vie d’un Héros), et elle lui est supérieure en construction artistique ; on peut même dire que c’est l’œuvre la plus parfaite de Strauss, depuis Tod und Verklärung (Mort et Transfiguration), avec une opulence de coloris et une virtuosité que Tod und Verklärung n’avait point. On est ébloui par la beauté de cet orchestre si léger, si souple et si nuancé, surtout après la masse compacte de l’orchestre de Mahler, ce lourd pain sans levain : ici, tout est nerfs, tout est vie ; rien d’inutile… Sans doute, la première exposition des thèmes a un caractère trop schématique ; le vocabulaire mélodique de Strauss est d’ailleurs extrêmement restreint, et pas très relevé ; mais il est bien personnel : impossible de séparer de lui ces thèmes nerveux et brûlant d’une ardeur juvénile, qui fendent l’air comme des flèches, et se tordent en arabesques capricieuses. Dans l’adagio de la nuit, il y a, avec du très mauvais goût, de la gravité, du rêve, quelque chose d’attendri et d’émouvant. Et la fugue de la fin est d’une étonnante allégresse. C’est un mélange de bouffonnerie colossale et de pastorale héroïque digne de Beethoven, dont elle rappelle le style dans son large développement. L’apothéose finale est un fleuve de vie. Sa joie dilate le cœur. Les plus extravagantes combinaisons d’harmonies, les duretés les plus implacables s’effacent et se fondent, grâce à la combinaison merveilleuse des timbres. C’est l’œuvre d’un artiste sensuel et fort, du vrai héritier du Wagner des Meistersinger.