Page:Rolland - Vie de Beethoven.djvu/57

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et courtisans ont fait la haie ; le duc Rodolphe m’a ôté son chapeau ; madame l’impératrice m’a salué la première. — Les grands me connaissent. — Pour mon divertissement, je vis la procession défiler devant Gœthe. Il se tenait sur le bord de la route, profondément courbé, son chapeau à la main. Je lui ai lavé la tête après, je ne lui ai fait grâce de rien[1].... » Gœthe n’oublia pas non plus[2].

  1. À Bettina von Arnim (Nohl, XCI). ― L’authenticité des lettres de Beethoven à Bettina, mise en doute par Schindler, a été défendue par Mortiz Carriere, Nohl et Kalischer. Bettina a dû les « embellir » un peu ; mais le fond paraît exact.
  2. « Beethoven, disait Gœthe à Zelter, est malheureusement une personnalité tout à fait indomptée ; il n’a sans doute pas tort de trouver le monde détestable ; mais ce n’est pas le moyen de le rendre agréable pour lui et pour les autres. Il faut l’excuser et le plaindre, car il est sourd. » — Il ne fit rien dans la suite contre Beethoven, mais il ne fit rien pour lui : silence complet sur son œuvre, et jusque sur son nom. — Au fond, il admirait, mais redoutait sa musique : elle le troublait ; il craignait qu’elle ne lui fît perdre le calme de l’âme, qu’il avait conquis au prix de tant de peines, et qui, contre l’opinion courante, ne lui était rien moins que naturel. Il ne l’avouait pas aux autres, ni peut-être à soi-même. — Une lettre du jeune Félix Mendelssohn, qui passa par Weimar en 1830, fait pénétrer innocemment dans les profondeurs de cette âme trouble et passionnée (leidenschaftlicher Sturm una Verworrenheit, comme Gœthe disait lui-même), qu’une intelligence puissante maîtrisait.
    «... D’abord, écrit Mendelssohn, il ne voulait pas entendre parler de Beethoven ; mais il lui fallut en passer par là, et écouter le premier morceau de la Symphonie en ut mineur, qui le remua étrangement. Il n’en voulut rien laisser paraître, et se contenta de me dire : « Cela ne touche point, cela ne fait qu’étonner ». Au bout d’un certain temps, il reprit : « C’est grandiose, insensé ; on dirait que la maison va s’écrouler ». Survint le dîner, pendant lequel il demeura tout pensif, jusqu’au moment où, retombant de nouveau sur Beethoven, il se mit à m’interroger, à m’examiner. Je vis bien que l’effet était produit.... »
    (Sur les rapports de Gœthe et de Beethoven, voir divers articles de Frimmel.)