Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/107

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ces préceptes d’hygiène morale. Il s’inquiétera d’achever la cure de l’âme, d’en refaire l’énergie, en proscrivant les plaisirs vicieux, qui endorment la conscience[1], et les plaisirs cruels, qui la tuent[2]. Il donne l’exemple. En 1884, il a fait le sacrifice de sa passion la plus enracinée : la chasse[3]. Il pratique l’abstinence, qui forge la volonté. Tel, un athlète qui s’impose une dure discipline, pour combattre et pour vaincre.

Que devons-nous faire ? marque la première étape de la route difficile où Tolstoï allait s’engager, quittant la paix relative de la méditation religieuse pour la mêlée sociale. Et dès lors commença cette guerre de vingt ans, qu’au nom de l’Évangile le vieux prophète d’Iasnaïa Poliana livra, seul, en dehors de tous les partis, et les condamnant tous, aux crimes et aux mensonges de la civilisation.

  1. L’Alcool et le Tabac (trad. de Halpérine-Kaminsky, publiée sous le titre : Plaisirs vicieux, 1895). Titre russe : Pourquoi les gens s’enivrent.
  2. Plaisirs cruels, 1895 (Les Mangeurs de viande ; la Guerre ; la Chasse), trad. de Halpérine-Kaminsky. Titres russes : (Pour Les Mangeurs de viande) : Le premier degré. — La Guerre est un extrait d’un ouvrage volumineux : Le royaume de Dieu est en nous (chap. vi).
  3. Il est remarquable que Tolstoï ait eu tant de peine à s’en défaire. C’était chez lui une passion atavique : il la tenait de son père. Il n’était pas sentimental, et il semble n’avoir jamais fait dépense de beaucoup de pitié pour les bêtes. Ses yeux pénétrants se sont à peine arrêtés sur les yeux, si éloquents parfois, de nos humbles frères, — à l’exception du cheval, pour qui, en grand seigneur, il a une prédilection. Il n’était pas sans un fond de cruauté native. Après avoir raconté la mort lente d’un loup, qu’il avait tué, en le frappant d’un bâton à la racine du nez, il dit : « Je ressentais une volupté, au souvenir des souffrances de l’animal expirant. » Le remords s’éveilla tard.