Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de la mort, où ils s’aperçoivent avec effroi qu’ils n’ont pas vécu. Ivan Iliitch est le représentant de cette bourgeoisie européenne de 1880, qui lit Zola, va entendre Sarah Bernhardt, et, sans avoir aucune foi, n’est même pas irréligieuse : car elle ne se donne la peine ni de croire ni de ne pas croire, — elle n’y pense jamais.

Par la violence du réquisitoire, tour à tour âpre et presque bouffon, contre le monde et surtout contre le mariage, la Mort d’Ivan Iliitch ouvre une série d’œuvres nouvelles ; elle annonce les peintures plus farouches encore de la Sonate à Kreutzer et de Résurrection. Vide lamentable et risible de cette vie (comme il y en a des milliers, des milliers), avec ses ambitions grotesques, ses pauvres satisfactions d’amour-propre, qui ne font guère plaisir, — « toujours plus que de passer la soirée en tête-à-tête avec sa femme », — les déboires de carrière, les passe-droits qui aigrissent, le vrai bonheur : le whist. Et cette vie ridicule est perdue pour une cause plus ridicule encore, en tombant d’une échelle, un jour qu’Ivan a voulu accrocher un rideau à la fenêtre du salon. Mensonge de la vie. Mensonge de la maladie. Mensonge du médecin bien portant, qui ne pense qu’à lui-même. Mensonge de la famille, que la maladie dégoûte. Mensonge de la femme, qui affecte le dévouement et calcule comment elle vivra, lorsque le mari sera mort. Universel mensonge, auquel s’oppose, seule, la vérité d’un domestique compatissant, qui ne cherche pas à cacher au mourant son état et