Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/196

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homme ivre, cela veut-il dire que la route soit mauvaise ? Ou indiquez-m’en une autre, ou soutenez-moi sur la vraie route, comme je suis prêt à vous soutenir. Mais ne me rebutez pas, ne vous réjouissez pas de ma détresse, ne criez pas, avec transport : « Regardez ! Il dit qu’il va à la maison, et il tombe dans le bourbier ! » Non, ne vous réjouissez pas, mais aidez-moi, soutenez-moi !… Aidez-moi ! Mon cœur se déchire de désespoir que nous nous soyons tous égarés ; et lorsque je fais tous mes efforts pour sortir de là, vous, à chacun de mes écarts, au lieu d’avoir compassion, vous me montrez du doigt, en criant : « Voyez, il tombe avec nous dans le bourbier[1] ! »

Plus près de la mort, il répétait :

Je ne suis pas un saint, je ne me suis jamais donné pour tel. Je suis un homme qui se laisse entraîner, et qui parfois ne dit pas tout ce qu’il pense et sent ; non parce qu’il ne le veut pas, mais parce qu’il ne le peut pas, parce qu’il lui arrive fréquemment d’exagérer ou d’errer. Dans mes actions, c’est encore pis. Je suis un homme tout à fait faible, avec des habitudes vicieuses, qui veut servir le Dieu de vérité, mais qui trébuche constamment. Si l’on me tient pour un homme qui ne peut se tromper, chacune de mes fautes doit paraître un mensonge

  1. Lettre à un ami (la traduction française, par M. Halpérine-Kaminsky, en a été publiée sous le titre Profession de foi, dans le volume : Plaisirs cruels, 1895).