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justice. Mais le temps ne fit qu’accuser la répulsion de Tolstoï pour son milieu littéraire. Il ne pardonnait pas à ces artistes le mélange de leur vie dépravée et de leurs prétentions morales.

J’acquis la conviction que presque tous étaient des hommes immoraux, mauvais, sans caractère, bien inférieurs à ceux que j’avais rencontrés dans ma vie de bohème militaire. Et ils étaient sûrs d’eux-mêmes et contents, comme peuvent l’être des gens tout à fait sains. Ils me dégoûtèrent[1].

Il se sépara d’eux. Toutefois, il garda quelque temps encore leur foi intéressée dans l’art[2]. Son orgueil y trouvait son compte. C’était une religion grassement rétribuée ; elle procurait « des femmes, de l’argent, de la gloire… ».

De cette religion, j’étais un des pontifes. Situation agréable et bien avantageuse…

Pour mieux s’y consacrer, il donna sa démission de l’armée (novembre 1856).

Mais un homme de sa trempe ne pouvait se fermer longtemps les yeux. Il croyait, il voulait croire au progrès. Il lui semblait « que ce mot

  1. Confessions, t. xix des Œuvres complètes, trad. J.-W. Bienstock.
  2. « Il n’y avait, dit-il, aucune différence entre nous et un asile d’aliénés. Même à cette époque, je le soupçonnais vaguement ; mais, comme font tous les fous, je traitais chacun de fou, excepté moi. » (Ibid.)