Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/58

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19 septembre 1860, bouleversait Tolstoï, au point « d’ébranler sa foi dans le bien, en tout », et lui faisait renier l’art :

La vérité est horrible… Sans doute, tant qu’existe le désir de la savoir et de la dire, on tâche de la savoir et de la dire. C’est la seule chose qui me soit restée de ma conception morale. C’est la seule chose que je ferai, mais pas sous la forme de votre art. L’art, c’est le mensonge, et je ne peux plus aimer le beau mensonge[1].

Mais, moins de six mois après, il revenait au « beau mensonge », avec Polikouchka[2], qui est peut-être son œuvre la plus dénuée d’intentions morales, à part la malédiction latente qui pèse sur l’argent et sur son pouvoir néfaste ; œuvre purement écrite pour l’art ; un chef-d’œuvre d’ailleurs, auquel on ne peut reprocher que sa richesse excessive d’observation, une abondance de matériaux qui auraient pu suffire à un grand roman,

    par la mort. Plus tard, il parlait de la maladie, comme de sa meilleure amie :

    Quand on est malade, il semble qu’on descende une pente très douce, qui, à un certain point, est barrée par un rideau, léger rideau de légère étoffe : en deçà, c’est la vie ; au delà, c’est la mort. Combien l’état de maladie l’emporte, en valeur morale, sur l’état de santé ! Ne me parlez pas de ces gens qui n’ont jamais été malades ! Ils sont terribles, les femmes surtout. Une femme bien portante, mais c’est une vraie bête féroce ! (Entretiens avec M. Paul Boyer, le Temps, 27 août 1901.)

  1. 17 octobre 1860, lettre à Fet (Correspondance inédite, p. 27-30).
  2. Écrit à Bruxelles en 1861.