Page:Rolland Clerambault.djvu/104

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— Mon bon ami, lui dit-il, vous avez été malade ?

— Bien malade, en effet, répondit Clerambault. Mais je vais mieux maintenant. Je me suis ressaisi.

— Oui, c’est le coup le plus cruel, dit Perrotin : perdre, à notre âge, un ami comme l’était pour vous votre pauvre enfant…

— Le plus cruel n’est pas encore de le perdre, dit Clerambault, c’est d’avoir contribué à sa perte.

— Que dites-vous là, mon bon ? fit Perrotin, surpris. Qu’avez-vous pu trouver, pour ajouter à votre peine ?

— Je lui ai fermé les yeux, dit amèrement Clerambault. Et lui, me les a ouverts.

Perrotin laissa tout à fait le travail qu’il continuait de ruminer, selon son habitude, tandis qu’on lui parlait ; et il se mit à observer curieusement Clerambault. Celui-ci, la tête basse, d’une voix sourde, douloureuse, passionnée, commença son récit. On eût dit un chrétien des premiers temps, faisant sa confession publique. Il s’accusait de mensonge, de mensonge envers sa foi, de mensonge envers son cœur, de mensonge envers sa raison. La lâcheté de l’apôtre avait renié son dieu, dès qu’il l’avait vu enchaîné ; mais il ne s’était pas dégradé, au point d’offrir ses services aux bourreaux de son dieu. Lui, Clerambault, n’avait pas seulement déserté la cause de la fraternité humaine, il l’avait avilie ; il avait continué de parler de fraternité, en excitant la haine ; comme ces prêtres menteurs qui font grimacer l’Évangile pour le mettre au service de leur méchanceté, il avait sciemment dénaturé les plus généreuses