Page:Rolland Clerambault.djvu/127

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mais elle habitue à ne plus pouvoir se passer d’union. Alexandre Mignon en fit l’expérience.

La disparition de Jaurès avait désorienté le groupe. Que manquât une seule voix, qui parlait la première, toutes les autres manquaient : elles attendaient le mot d’ordre, et nulle n’osait le donner. Incertains, au moment où croulait le torrent, ces hommes généreux et faibles furent entraînés par la poussée des premiers jours. Ils ne la comprenaient pas ; ils ne l’approuvaient pas ; mais ils n’avaient rien à y opposer. Dès la première heure, des désertions se produisirent dans leurs rangs : elles étaient provoquées par ces affreux rhéteurs qui gouvernaient l’État, — les avocats démagogues, rompus à tous les sophismes de l’idéologie républicaine : « la Guerre pour la Paix, la Paix éternelle au bout… » (Requiescat !) Les pauvres pacifistes virent dans ces artifices une occasion unique, sinon très reluisante (ils n’en étaient pas fiers) de se tirer de l’impasse : ils se flattèrent de mettre d’accord, par une hâblerie dont ils n’aperçurent point l’énormité, leurs principes de paix et le fait de violence. S’y refuser, c’eût été se livrer à la meute de la guerre : elle les eût dévorés.

Alexandre Mignon aurait eu le courage de faire face aux gueules sanglantes, s’il avait senti près de lui sa petite communauté. Mais seul, c’était au-dessus de ses forces. Sans se prononcer d’abord, il laissa faire. Il souffrait. Il passa par des angoisses assez proches de celles de Clerambault. Mais il n’en sortit pas de même. Il était moins impulsif et plus intellectuel ; pour effacer