Page:Rolland Clerambault.djvu/185

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ménagements, se séparaient de lui en termes amers et outrageants. Tant d’animosité bouleversa Clerambault. Elle ne pouvait être causée par ses seuls articles ; il fallait qu’elle couvât déjà dans le cœur de ces hommes. Quoi ! Tant de haine cachée !… Qu’avait-il pu leur faire ? L’artiste qui a du succès ne se doute pas que, parmi les sourires de l’escorte, plus d’un cache les dents qui guettent l’heure de mordre.

Clerambault s’efforçait de dissimuler à sa femme les outrages des journaux. Ainsi qu’un collégien qui escamote ses mauvaises notes, il guettait l’heure du courrier pour faire disparaître les feuilles malfaisantes. Mais leur venin finit par infecter l’air même qu’on respirait. Mme Clerambault et Rosine eurent à subir, de leurs relations mondaines, des allusions blessantes, de menus affronts, des avanies. Avec l’instinct de justice qui caractérise la bête humaine, et spécialement femelle, on les rendait responsables des pensées de Clerambault, qu’elles connaissaient à peine et qu’elles n’approuvaient pas. (Ceux qui les incriminaient ne les connaissaient pas davantage.) Les plus polis usaient de réticences ; ils évitaient ostensiblement de demander des nouvelles, de prononcer le nom de Clerambault « Ne parlez pas de corde dans la maison d’un pendu !… » Ce silence calculé était plus injurieux qu’un blâme. On eût dit que Clerambault avait commis une escroquerie, ou bien un attentat à la pudeur. Mme Clerambault revenait, ulcérée. Rosine affectait de ne pas s’en soucier ; mais Clerambault voyait qu’elle souffrait. Une amie, rencontrée dans la rue, passait sur le trot-