Page:Rolland Clerambault.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la raison, c’est l’amour à l’état brut, aveugle et délirant, où se mêlent égoïsme et sacrifice, également inconscients et tous deux au service des buts obscurs de l’espèce. Tous les enjolivements tendres et fleuris, dont le couple s’efforce de voiler ces forces qui l’effraient, sont un treillis de lianes au-dessus d’un torrent. Leur objet est de tromper. L’homme ne supporterait pas la vie, si son âme chétive voyait en face les grandes forces qui l’emportent. Son ingénieuse lâcheté s’évertue à les adapter mentalement à sa faiblesse : il ment avec l’amour, il ment avec la haine, il ment avec la femme, il ment avec la Patrie, il ment avec ses Dieux ; il a si peur que la réalité apparue ne le fasse tomber en convulsions qu’il lui a substitué les fades chromos de son idéalisme.

La guerre faisait crouler le fragile rempart. Clerambault voyait tomber la robe de féline politesse dont s’habille la civilisation ; et la bête cruelle apparaissait.

Les plus tolérants étaient, parmi les anciens amis de Clerambault, ceux qui tenaient au monde politique : députés, ministres d’hier ou de demain ; habitués à manier le troupeau humain, ils savaient ce qu’il vaut ! Les hardiesses de Clerambault leur semblaient bien naïves. Ils en pensaient vingt fois plus ; mais ils trouvaient sot de le dire, dangereux de l’écrire, et plus dangereux encore d’y répondre : car ce que l’on attaque, on le fait connaître ; et ce que l’on condamne, on consacre son importance. Aussi, leur avis eût-il été, sagement, de faire le silence sur ces écrits malencon-