Page:Rolland Clerambault.djvu/192

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— Voilà, dit Clerambault, une parole que je n’attendais pas d’un homme de science ! Est ce que la vérité a rien à perdre à être discutée ?

— La vérité, non. Mais l’amour. L’amour de la patrie.

— Mon cher Daniel, vous êtes plus téméraire que moi. Je n’oppose pas la vérité à l’amour de la patrie. Je tâche de les mettre d’accord.

Daniel trancha :

— On ne discute pas la patrie.

— C’est donc, dit Clerambault, un article de foi.

— Je ne crois pas aux religions, protesta Daniel. Je ne crois à aucune. C’est justement pour cela. Que resterait-il sur terre, s’il n’y avait la patrie ?

— Je pense qu’il y a sur terre beaucoup de belles et bonnes choses. La patrie en est une. Je l’aime, moi aussi. Je ne discute pas l’amour, mais la façon d’aimer.

— Il n’y en a qu’une, dit Daniel.

— Et c’est ?

— Obéir.

— L’amour aux yeux fermés. Oui, le symbole antique. Je voudrais les lui ouvrir.

— Non, laissez-nous, laissez-nous ! La tâche est déjà assez dure. Ne venez pas nous la rendre encore plus cruelle !

En quelques phrases sobres, hachées, frémissantes, Daniel évoqua les images terribles des semaines qu’il venait de vivre dans la tranchée, le dégoût et l’horreur de ce qu’il avait souffert, vu souffrir, fait souffrir.