Page:Rolland Clerambault.djvu/199

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aurait tort, sans doute. Mais il faut compter toujours avec l’opinion. L’opinion d’un peuple, même excessive et injuste en apparence, est respectable ; et c’était l’erreur de Clerambault de l’avoir voulu braver. — Daniel pressait Clerambault de reconnaître cette erreur et de la désavouer, d’effacer par de nouveaux articles l’impression déplorable produite par les premiers. Il lui en faisait un devoir — un devoir envers la patrie — un devoir envers lui-même — et (il laissait entendre) un devoir envers celle qui leur était à tous deux si chère. — Sa lettre se terminait par diverses autres considérations, où revenait deux ou trois fois encore le nom de l’opinion. Elle finissait par prendre la place de la raison et même de la conscience.

Clerambault songea en souriant à la scène de Spitteler, où le roi Épiméthée, l’homme à la ferme conscience, quand l’heure est venue de l’exposer à l’épreuve, ne peut plus mettre la main dessus, la voit qui décampe, la poursuit, et, pour la rattraper, se jetant à plat ventre, la cherche sous son lit. Et Clerambault pensa qu’on pouvait être un héros devant le feu de l’ennemi, et un tout petit garçon devant l’opinion de ses compatriotes.

Il montra la lettre à Rosine. Si partial que soit l’amour, elle fut blessée dans son cœur de la violence que son ami voulait faire aux convictions de son père. Elle pensa que Daniel ne l’aimait pas assez. Et elle dit qu’elle ne l’aimait pas assez, pour accepter de pareilles exigences : quand bien même Clerambault serait disposé à céder, elle ne le permettrait pas ; car ce serait injuste.