Page:Rolland Clerambault.djvu/220

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s’éloigner de Paris, que maintenant elle abhorrait, et pour arracher son mari à ce milieu dangereux. Elle sut faire valoir, avec son deuil, les raisons d’intérêt et la santé de Rosine, qui se trouverait bien de ce changement d’air. Clerambault céda. Ils allèrent tous les trois prendre possession de leur petit héritage, et restèrent en Berry l’été et l’automne.

C’était à la campagne. Une vieille maison bourgeoise, à la sortie d’un village. De l’agitation de Paris Clerambault passa brusquement à un calme stagnant. Dans le silence des journées, le chant des coqs dans les fermes, les meuglements des bestiaux dans les prés, ponctuaient les heures monotones. Le cœur de Clerambault était trop enfiévré pour s’adapter au rythme placide et lent de la nature. Jadis, il l’avait aimée jusqu’à l’adoration ; jadis, il était en harmonie avec ce peuple des campagnes, d’où sa famille était issue. Mais aujourd’hui, les paysans avec qui il essaya de causer lui firent l’effet d’hommes d’une autre planète. Certes, ils n’étaient pas infectés par le virus de la guerre ; ils ne se passionnaient point, ils ne montraient pas de haine contre l’ennemi. Mais ils n’en montraient aucune non plus contre la guerre. Ils l’acceptaient comme un fait. Ils n’en étaient pas dupes : (certaines réflexions d’une bonhomie malicieuse faisaient voir qu’ils savaient ce qu’il valait). En attendant, ce fait, ils l’utilisaient. Ils faisaient de grasses affaires. Sans doute, ils perdaient leurs fils ; mais leurs biens ne perdaient point. Ils n’étaient pas insensibles ; leur deuil, pour s’exprimer peu, n’en était pas moins inscrit en eux. Mais enfin, les