Page:Rolland Clerambault.djvu/231

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qu’il jouisse de la sienne, il faut qu’il crache dans celle du voisin. Le dieu le veut. Car il lui faut un dieu — quel qu’il soit, homme ou bête, fût-il même un objet, une ligne rouge ou noire, ainsi qu’au Moyen-Age, une merlette, un corbeau, un blason, — pour se décharger sur lui de ses insanités.

« Aujourd’hui qu’au blason a succédé le drapeau, nous nous proclamons affranchis des superstitions ! Quand furent-elles plus épaisses ? Maintenant, le dogme nouveau, l’Égalité, nous oblige tous à puer exactement les uns comme les autres. Nous ne sommes même plus libres de dire que nous ne sommes pas libres : ce serait un sacrilège ! Il faut, le bât sur le dos, braire : « Vive la liberté ! » — La fille de Chéops, sur l’ordre de son père s’était faite putain, afin de contribuer, avec l’argent de son ventre, à élever la Pyramide. Pour élever la pyramide de nos massives Républiques, les millions de citoyens putanisent leur conscience, se prostituent âme et corps au mensonge, à la haine… Oh ! nous sommes passés maîtres dans le grand art de mentir !… Certes, on le sut toujours. Mais la différence avec ceux du passé est qu’ils se savaient menteurs et n’étaient pas loin d’en convenir naïvement, comme d’un besoin naturel, qu’en bonnes gens du Midi, on satisfait devant les passants : — « Je mentirai, » dit Darius, ingénument, « car quand il est utile de mentir, il ne faut point s’en faire scrupule. Ceux qui mentent désirent la même chose que ceux qui disent la vérité : on ment, dans l’espoir d’en retirer quelque profit ; on dit la vérité, en vue de quelque avantage et pour