Page:Rolland Clerambault.djvu/236

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au cours des siècles, — hérétiques et révolutionnaires, insoumis, réfractaires laïques et religieux, — je ne m’étonne plus de la médiocrité qui s’étend sur le monde, comme une eau plate et grasse…

« Nous, qui surnageons encore sur la morne étendue, que ferons-nous en face de l’implacable univers, où le plus fort écrase éternellement le plus faible et trouve éternellement un plus fort pour l’écraser à son tour ? Nous résoudre au sacrifice volontaire, par pitié douloureuse et lassée ? Ou bien participer à regorgement du faible, sans même l’ombre d’une illusion sur l’aveugle cruauté cosmique ? Ou, que nous reste-t-il ? Tenter de nous évader de la mêlée sans espérance, par l’égoïsme, ou la sagesse, qui est un autre égoïsme ?… »

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Car, dans la crise de pessimisme aigu qui rongeait Clerambault, en ces mois d’isolement inhumain, il n’envisageait même plus la possibilité du progrès, — ce Progrès, en qui il avait cru jadis, comme d’autres croient au Bon Dieu. Maintenant, il voyait l’espèce humaine vouée au destin meurtrier. Après avoir ravagé la planète, exterminé les autres espèces, elle s’anéantissait de ses mains. C’était la loi de Justice. L’homme n’est devenu souverain de la terre que par usurpation, par la ruse et la force (mais surtout par la ruse). De plus nobles que lui ont peut-être — certainement — disparu sous ses coups. Il a détruit les uns, dégradé, abruti les autres. Il a feint, depuis des