Page:Rolland Clerambault.djvu/287

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Ils ne voyaient qu’infamie dans la guerre et dans ceux qui la font.

— Pourtant, disait Clerambault doucement, plusieurs de vous l’ont faite, et presque tous y ont cru… Mais non, ne protestez pas ! Le sentiment qui vous y poussait avait aussi sa noblesse. On vous montrait un crime, et vous vous êtes jetés dessus, pour l’écraser. Votre ardeur était belle. Seulement, vous vous imaginiez qu’il n’y avait qu’un crime, et qu’une fois que le monde en aurait été purgé, il redeviendrait innocent, comme aux jours de l’Âge d’Or. J’ai déjà vu cette étrange naïveté, aux temps de l’Affaire Dreyfus. Les braves gens de toute l’Europe — (j’en étais) — semblaient n’avoir jamais entendu dire qu’un innocent eût pu être, jusqu’alors, injustement condamné. Leur vie en fut bouleversée. Ils remuèrent l’univers, pour laver cette iniquité… Hélas ! quand la lessive fut faite — (elle ne le fut même pas, les blanchisseurs se découragèrent au milieu de la tâche, et le blanchi, lui-même) — le monde était aussi noir qu’avant. Il semble que l’homme ne puisse pas embrasser l’ensemble de la misère humaine. Il a trop peur de voir l’immensité du mal ; pour n’en être pas accablé, il se fixe un seul point, il y localise tout le mal du monde, et il s’interdit de regarder autour. — Tout cela se comprend, c’est humain, mes amis. Mais il faut être plus brave. La vérité, c’est que le mal est partout ; il est chez l’ennemi, et il est aussi chez nous. Vous l’avez découvert peu à peu dans notre État. Avec la même passion qui vous faisait incarner en l’ennemi le Mal universel, vous