Page:Rolland Clerambault.djvu/84

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bruyante, qui, chez cette créature bonasse, s’était tournée en haine furieuse contre l’ennemi. Elle criait vengeance. Pour la première fois, Clerambault n’y répondit pas. Il ne lui restait plus assez de force pour haïr, — juste assez pour souffrir.

Il s’enferma dans sa chambre. Durant son pèlerinage affreux de dix jours, à peine s’était-il trouvé en face de sa pensée. Une seule idée l’hypnotisait, nuit et jour. Comme un chien sur une piste : plus vite, aller plus vite ! La lenteur des voitures, des trains, le consumait. Il lui était arrivé, après avoir retenu une chambre pour la nuit, de repartir le soir même, sans vouloir se reposer. Cette fièvre de hâte et d’attente dévorait tout. Elle rendait impossible (et c’était son salut) tout raisonnement suivi. Mais à présent, la course était brisée, et l’esprit se retrouvait, hors d’haleine, expirant. Clerambault avait maintenant la certitude que Maxime était mort. Il ne l’avait pas dit à sa femme, il lui avait tu certains renseignements qui enlevaient l’espoir. Elle était de ceux qui ont un besoin vital de conserver, même contre toute raison, une lueur de mensonge qui les leurre, jusqu’à ce que le gros du flot de la douleur se soit épuisé. Et peut-être Clerambault avait-il été de ceux-là, lui aussi. Mais il n’en était plus : car il voyait où ce leurre l’avait mené. Il ne jugeait pas encore, il n’essayait pas de juger. Il gisait dans sa nuit. Et trop faible pour se relever, pour tâtonner autour, il était comme quelqu’un qui, après une chute, remue son corps meurtri, reprend, à chaque douleur, conscience