Page:Rolland Clerambault.djvu/95

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fond de son âme menteuse et peureuse qui fuyait. La main de sa fille, dont il sentait encore la fraîcheur sur son front, avait effacé ses hésitations. Il était décidé à faire face au monstre Vérité, dût-il être lacéré par ses griffes, qui ne lâchent plus, une fois qu’elles ont étreint.

Avec angoisse, mais d’une main courageuse, il commença d’arracher par lambeaux saignants l’enveloppe de préjugés mortels, de passions et d’idées étrangères à son âme, qui la recouvrait tout entière.

D’abord, l’épaisse toison de la bête aux mille têtes, l’âme collective du troupeau. Il s’y était réfugié par peur et par lassitude. Elle tient chaud, on y étouffe, c’est un sale édredon ; quand on y est englouti, on ne peut plus faire un mouvement pour en sortir, et on ne le veut plus ; on n’a plus à penser, on n’a plus à vouloir ; on est à l’abri du froid, des responsabilités. Paresse et lâcheté !… Allons ! Écartons-la !… Par les fentes, aussitôt, entre le vent glacé. On se rejette en arrière… Mais déjà cette bouffée a secoué l’engourdissement ; l’énergie viciée se remet sur pied, en trébuchant. Que va-t-elle trouver au dehors ? N’importe ! Il faut voir…

Il vit d’abord, le cœur soulevé de dégoût, ce qu’il n’eût pas voulu croire, — combien cette grasse toison s’était incrustée dans sa chair. Il reniflait en elle comme un relent lointain de la bête primitive, les sauvages instincts inavoués de la guerre, du meurtre, du sang répandu, de la viande palpitante que les mâchoires broient. La Force élémentaire de la mort pour la vie. Au fond de l’être humain, l’abattoir dans la fosse,