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LE MÉLODRAME

Des deux publics, lequel a le vrai souci de l’art, — et qu’y a-t-il dans ces règles qui ne soit légitime, vivant et humain ? Il ne s’agit que de les appliquer avec honnêteté et conscience artistique ; et c’est la faute des artistes, si le mélodrame moderne, abandonné au premier fabricant venu, se traîne dans la niaiserie. Il ne tient qu’à eux de le relever. Qu’au lieu de s’appliquer aux genres mondains, factices et étriqués, qui peuplent nos théâtres, ils reprennent les genres populaires, en les dégageant des vulgarités qu’y ont accumulées plusieurs générations de commerçants vulgaires, et en y faisant rentrer le souci de la vérité, de l’art et de la langue française. Ils n’y gagneront pas moins que le peuple ; car cet effort leur permettra d’échapper à la mode qui passe, et d’atteindre au fond universel et durable de la vie.

Au reste, il n’y a rien de plus difficile et de plus haut que le grand mélodrame poétique : c’est proprement l’œuvre du génie. On ne saurait le délimiter d’avance, le réduire à des lois. Incarner les passions les plus simples, comme l’amour, l’ambition, la jalousie, la piété filiale, dans des types aussi profondément humains, aussi universels et individuels à la fois que Roméo, Macbeth, Othello, Cordelia ; faire sortir du développement naturel, ou du choc de ces âmes, des actions tragiques, qui atteignent au faite du tragique et aux limites de l’action, des drames fulgurants et grondants, comme des convulsions de la Nature : — nul ne le peut pleinement qu’un créateur surhumain, comme Eschyle, Shakespeare, ou Wagner ; et pour ceux-là, il n’est pas d’autres règles que d’être ce qu’ils sont.

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