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le théâtre nouveau

celle d’Henri IV, celle de la Marseillaise, celle de l’Alexandre corse, celle de la Commune. Ses héros ont fabriqué du sublime plus abondamment que ses poètes. Nul Shakespeare n’a chanté leurs actions ; mais le Béarnais, à la tête de ses cornettes blanches, ou Danton sur l’échafaud, ont parlé, ont agi, ont vécu du Shakespeare. La vie de la France a touché le sommet du bonheur et le fond de l’infortune. C’est une prodigieuse Comédie humaine, un ensemble de drames, où de claires volontés dirigent des armées de passion. Chacune de ses époques est un poème différent. Et pourtant, à travers toutes, on sent la persistance de quelques traits indestructibles, d’un destin mystérieux de la race, qui fait l’unité grandiose de l’épopée.

Tant de forces n’ont encore été d’aucun emploi pour l’art français. Car on ne peut compter pour quelque chose les drames-feuilletons de Dumas père, les faits divers de Sardou, — ou l’Aiglon ! Les seuls qui, comme Vitet,[1] ont eu l’intelligence du Drame de l’Histoire, sont des esprits tranquilles et contemplatifs, qui n’étaient point faits pour le théâtre, et ne songeaient pas d’ailleurs à travailler pour lui. — « Il y a quelque chose de faux et de blessant pour l’intelligence, dans la place disproportionnée qu’ont prise aujourd’hui l’anecdote, le fait divers, la menue poussière de l’histoire, aux dépens de l’âme vivante. Il ne s’agit pas d’offrir à la curiosité de

  1. Vitet : Les Barricades (mai 1588). — Les États de Blois (décembre 1588). — La mort de Henri III (août 1589).

    On ne connaît pas assez ces trois suites de Scènes Historiques, parues en 1827–29, d’un réalisme exact et minutieux, dont quelques pages atteignent presque à l’intensité d’évocation de Shakespeare. Elles n’ont pas peu servi à Dumas et à Hugo, qui jamais n’en ont égalé la vérité et la vie.

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