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le théâtre nouveau

La plupart de ceux qui cherchent à se faire les éducateurs du peuple se croient obligés de demander au théâtre des solutions nettes aux problèmes actuels. Mais outre que certains de ces problèmes n’ont pas de solution actuelle, et qu’il est imprudent de la hâter, rien n’est plus funeste, comme système d’éducation, que d’imposer au peuple des formules toutes faites. Ce qui importe, c’est de développer son esprit, par l’exercice de ses facultés d’observation et de raisonnement. L’histoire peut lui apprendre à sortir de lui-même, à lire dans l’âme des autres, de ses amis et de ses ennemis. Il se retrouvera dans le passé avec un mélange de caractères identiques et de traits différents, avec des vices et des erreurs qu’il sera capable de reconnaître et de condamner, et qui le mettront en garde contre ses passions d’aujourd’hui. L’aveu de ses propres fautes l’amènera peut-être à plus d’indulgence pour les fautes des autres. Les variations perpétuelles des idées, des mœurs et des préjugés, l’instruiront à ne pas prendre ses idées, ses mœurs et ses préjugés actuels pour le pivot du monde, à ne pas enfermer la justice et la raison dans les règles pharisaïques d’un temps, à considérer ce qui passe, et à ne le prendre pas pour éternel.

Mais il n’y a pas seulement des leçons de tolérance dans la vue du passé, et le scepticisme indulgent n’est que la première étape des âmes qui rebâtissent leur conscience sur des bases moins fragiles. Ce qui varie rend plus sensible ce qui demeure. C’est le grand bienfait de l’histoire, qu’elle dégage le roc indestructible du sable qui le recouvre. À l’unité factice d’une foule, troupeau que réunissent des instincts aveugles, elle substitue l’unité morale d’une famille, liée par le triple

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