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LE PEUPLE ET LE THÉÂTRE

soient les formes de vie qu’il représente, dès l’instant qu’il les représente, il les arrête et il les fige. On ne fixe pas la vie. C’est le rôle de l’État de pétrifier tout ce qu’il touche, de faire de tout idéal vivant un idéal bureaucratique.

Cet idéal a été représenté, dans l’occasion, par l’Œuvre des Trente ans de Théâtre. Grâce à son intelligent promoteur, M. Adrien Bernheim, quelques représentations classiques ont été données dans les faubourgs parisiens par les acteurs des grands théâtres subventionnés. Aussitôt M. Bernheim et ses amis de s’écrier : « Le théâtre du Peuple est fondé ! » — Voilà une belle invention ! On baptise le théâtre bourgeois théâtre populaire, et le tour est joué ! Donc, rien ne changera, et, dans la société en transformation incessante, l’art seul restera immobile, nous serons condamnés pour l’éternité à un idéal caduc, à un théâtre dont la pensée, le style, le jeu, n’ont plus rien de vivant, à la tradition dégénérée d’une maison de comédiens !

Je dirai plus loin ce que je pense de l’entreprise des Trente ans de Théâtre. Je tâcherai d’en parler avec le respect que mérite toute tentative généreuse. Mais elle suppose une confiance en la bonté de notre civilisation en général, et de notre théâtre en particulier, que je suis loin de partager ; et je combattrai sans pitié ses illusions. Ces illusions, je le sais, sont partagées par la majorité des esprits de l’élite actuelle. Cela nous prouve ce que nous savons depuis longtemps : qu’il n’y a guère à compter sur cette élite pour l’avenir. Elle s’efforce en vain de donner le change : elle est conservatrice et bourgeoise, elle est du passé, elle

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